Les organisations sociales : start-up ou coopératives ?

Parmi les controverses qui agitent le secteur social et médico-social, celle-ci reste parfois assez virulente : nos organisations sociales ont-elles vocation à se transformer, à se moderniser, se rajeunir dans leur forme et dans leurs méthodes ?   Nos associations devraient-elles s’identifier au modèle des start-up ?
Devrions-nous enfin abandonner le modèle collaboratif historique, qui constitue pourtant un des marqueurs identitaires du champ social, arracher nos établissements et services aux pesanteurs de la prise de décision collective et à l’idéologie du consensus ? Devrions-nous ressembler à ces jeunes entreprises émergentes, pour accéder aux qualités de souplesse, d’adaptation, de réactivité et d’efficacité qui les caractérisent ? Ou bien, au contraire, devons-nous protéger nos collaborateurs de la tyrannie de la performance et de l’innovation permanente qui façonnent l’univers des start-up et préserver les espaces d’intersubjectivité et le temps qu’il faut pour y parvenir, qui restent le socle du travail auprès de personnes vulnérables ?

« Au bout du compte, la start-up a vaincu la coopérative » !

C’est avec cet aphorisme provocateur que Pierre-Henri Tavoillot, président du collège de philosophie, fait mine de considérer que les dés sont joués, que, en matière de catégories politiques, puisque c’est l’objet de son ouvrage[1], nous aurions déjà basculé dans le monde des start-up au détriment des engagements collaboratifs ou coopératifs. Au-delà même de la sphère politique, cette affirmation une peu brutale règle son compte à une profonde controverse autour des attributs respectifs de ces deux modèles : la lente maturation collective des décisions qui irrigue le mouvement coopératif s’efface devant l’efficacité productive de la nouvelle économie ; le poids de la parole et de l’échange s’éteint devant l’urgence du « faire » ;  la force tranquille de l’histoire perd de sa pertinence au profit de l’adaptation permanente au futur et à l’imprévu ; les règles et les rites se heurtent au rejet des pesanteurs du « système »… Au fond : la tradition est morte ; vive la modernité !

Ainsi posé, le débat est évidemment manichéen, trop simplificateur et, au fond, assez stérile. Nos organisations sont bien sûr hybrides et empruntent à plusieurs sources.
Mais surtout ces catégories, « start-up » ou « coopérative », n’ont pas vraiment de consistance en tant que modèles reproductibles : par définition, la start-up, littéralement « société qui démarre », est éphémère et… perd rapidement ce statut si elle réussit ! Elle se caractérise surtout par la perspective d’une forte croissance, l’usage d’une technologie nouvelle et le besoin d’un financement important…  Ce ne sont pas vraiment le cœur des préoccupations des organisations sociales ! De l’autre côté, la coopérative est plus un idéal théorique qu’une réalité durable : peu de coopératives parviennent à se stabiliser dans le temps ; nous n’en connaissons pas beaucoup dans notre secteur professionnel et la société coopérative semble destinée à rester une alternative de niche.

En revanche les principes qui guident l’un et l’autre ces types d’organisation ne cessent de prospérer : agilité, réactivité, simplicité du côté de la start-up, démocratie interne, intelligence collective, promotion et émancipation du côté de la coopérative constituent des fondamentaux largement partagés au sein de nos organisations.

Moralité… Méfions-nous de ces discours réducteurs, qui, au nom d’idéologies antagonistes, voudraient sans cesse opposer des contraires. Le réel ne se laisse pas facilement enfermer dans des catégories simplistes… 

Bernard Lemaignan
Directeur

[1] Pierre-Henri Tavoillot, Comment gouverner un peuple-roi ? Odile Jacob, 2019, p. 167.

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Publié le 05 septembre 2019
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