LA RESILIENCE, UNE DYNAMIQUE SALUTAIRE POUR DESSINER L'AVENIR

TRIBUNE de Nadia Zeghmar, Directrice Générale de l'IREIS, missionnée à la Direction Générale de l'Arafdes

« Le contemporain est celui qui perçoit l’obscurité de son temps comme une affaire qui le regarde et n’a de cesse de l’interpeller, quelque chose qui, plus que toute lumière, est directement et singulièrement tourné vers lui. Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps. » [1]

La pandémie nous a mis à rude épreuve : chacun a mesuré le poids des responsabilités envers lui-même et envers autrui, sa famille, sa communauté, son entreprise, en se posant la question de savoir comment inventer de nouvelles habiletés, une manière adaptée de « faire face », de poursuivre une activité ou un service, de l’interrompre parfois, d’en arrêter le fonctionnement ordinaire, puis enfin de garder l’espoir de reprendre un jour prochain le cours des choses…

Le confinement des hommes, puis des entreprises et des services a constitué à l’échelle de toute vie humaine une expérience inédite, car à des degrés divers tous nos contemporains ont été concernés et contributifs au monde « pendant » et tous le seront au monde « d’après », dans des circonstances exceptionnelles qui ont fait prospérer paradoxalement un sentiment unique de solidarité humaine, sociale, économique.

Rupture ou continuité, permanence et instabilité, répétition de l’histoire ou vraie nouveauté, les couples d’opposition ont fait florès sans épuiser le débat. Celui-ci s’oriente désormais vers la question lancinante de savoir ce que nous en avons appris. C’est à ce moment charnière que l’on pose la question des leviers de la sortie de crise, et de comment réussir à construire le monde d’après.

Nous savons obscurément que cette réflexion suppose une compréhension, un discernement et un jugement comme une ombre portée sur l’évènement lui-même qui nous en décalerait et nous permettrait de voir plus loin, en somme de prendre de la hauteur, du recul, de gagner collectivement en réflexivité.

Ainsi, la sortie de crise suppose de négocier avec l’environnement interne et externe une solidité nouvelle, une capacité de rebond, une plasticité retrouvée face aux aléas, en somme tout ce qui caractérise une résilience individuelle puis organisationnelle.

C’est ce que traduit l’origine étymologique de l’adjectif « résilient » et du nom « résilience », respectivement apparus dans la langue française en 1932 et en 1906. D’après Alain Rey dans son dictionnaire de la langue française, ces mots sont empruntés au vocabulaire en langue anglaise de la physique.

« Resilient » apparaîtrait en anglais dès 1674 au sens de « rejaillissant, rebondissant » et renvoie à une caractéristique particulière, celle de présenter « une résistance aux chocs élevés ». En 1824, l’ingénieur Thomas Tredgold employait le mot « résilience » à propos de  la résistance aux chocs d’un matériau. Mais, cette résistance ne se définit pas comme la conservation de la structure. Ainsi, si l’on prend l’exemple des gobelets de plastiques thermoformés – conçus à partir de galettes de plastiques rondes et plates transformées en gobelets par échauffement et moulage, si on écrase ces gobelets, ils ne résistent que faiblement, mais quelle que soit la déformation subie, ils retrouveront leur forme de galette si on les chauffe. La matière plastique thermoformée est dite résiliente. Sa résilience désigne son potentiel de récupération.

La résilience se définit comme la capacité, non pas à résister d’un seul bloc contre vents et marées, mais à se structurer de façon à ce que la crise ou le choc, même et surtout ceux qui sont totalement imprévisibles, puissent être supportés par l’organisation et parfois même la renforcer.

Notion phare dans le champ de la clinique, pour circonscrire le travail engagé le plus souvent autour du traitement des traumas dans la foulée des publications de vulgarisation de Boris Cyrulnick[2], cette notion sort peu à peu de l’approche strictement centrée sur les cas individuels pour essaimer dans le champ des organisations et désigner sous couvert d’une approche systémique, la dynamique par laquelle on vient construire les nouvelles solidités organisationnelles, dans un contexte de rupture.

Dans les sciences de gestion, le concept de résilience organisationnelle a d’abord fait son apparition dans le cadre des recherches sur la gestion des crises et les organisations à haute fiabilité (HRO). La résilience est devenue un enjeu majeur du management des risques et de la gestion des crises[3].

Malgré l’adversité, le risque avéré, favoriser la résilience suppose ainsi de combiner à la fois une approche défensive – tenant aux mesures de précaution et de gestion du risque en aval qui permettent de faire face au choc lorsqu’il se produit – et une approche proactive – être ingénieux et créatif pour imaginer des solutions nouvelles et mettre en œuvre des actions permettant à l’entreprise de se régénérer.

Toute organisation ou collectivité devrait pouvoir apprendre des crises traversées pour être mieux armée face à l’avenir et profiter valablement de la discontinuité créée par le choc pour identifier ses faiblesses et potentiellement les corriger.

La résilience suppose donc trois dimensions fortement imbriquées les unes aux autres :

1) Une capacité d’absorption, permettant à l’entreprise de ne pas s’effondrer face à l’inattendu ou au choc ;

2) Une capacité de renouvellement par laquelle elle peut s’inventer de nouveaux futurs ;

3) Une capacité d’appropriation[4] lui permettant de devenir plus forte de ses expériences.

S’adapter vite et bien à son environnement, cette congruence est donc une question de survie. Cela nécessite de savoir gérer des contraintes paradoxales comme, par exemple, d’avoir pu acquérir avec le temps des ressources (financières, compétences...) suffisantes pour gérer efficacement ces phases de changements, et parallèlement savoir continuer à faire preuve de flexibilité organisationnelle pour réaliser les changements attendus, là où le temps a plutôt contribué à rigidifier l’organisation.

Dans un monde où les changements et les transformations rapides deviennent la norme, les organisations font face à de nouveaux défis : « Nous sommes dans des sociétés en évolution permanente et rapide et dont la complexité est telle qu‘elle s‘accompagne de beaucoup d‘instabilité et de désordre. […] Dans ce monde turbulent en évolution rapide, il ne suffit plus d‘effectuer certains radoubs à l‘organisation, il faut développer un régime permanent de renouvellement exigeant non plus de changer les règles du jeu, mais de changer les métarègles – les règles qui définissent comment on change les règles du jeu. » [5]

Parions que la sortie de crise devrait nous inviter en ce sens à laisser plus de place dans nos organisations à la créativité, aux bricolages inventifs, à l’intelligence collective des acteurs pour redonner du souffle à une situation rendue plus incertaine et moins prévisible, et échapper ainsi à l’aversion pour le risque et à son versant destructeur fait de repli sur soi, de souffrance au travail et de doutes sur la cohésion.

Les organisations sociales et médico-sociales qui traduisent dans leurs actions les formes de solidarité verticales ou horizontales qui lient les individus à la société pourraient investir ce renouveau comme tout à la fois un objet d’étude pour l’émergence de nouvelles pratiques, et l’opportunité d’une transformation des processus de travail par l’apprentissage organisationnel pour construire une vision partagée salutaire pour dessiner l’avenir.

Nadia ZEGHMAR


[1] Agamben G., 2008, Qu’est-ce que le contemporain?, traduit par Rovere M., Rivages, Payot & Rivages (Petite bibliothèque).

[2] Cyrulnik B., 2002, Un merveilleux malheur, Paris, Odile Jacob ; Cyrulnik B., Jorland G., 2012, Résilience : connaissances de base, Paris, Odile Jacob ; Cyrulnik B., 2001, Les vilains petits canards, Paris, Odile Jacob.

[3] Weick K.E., Sutcliffe K.M., 2007, Managing the unexpected : resilient performance in an age of uncertainty, San Francisco, Jossey-Bass ; Koninckx G., Teneau G., 2010, Résilience organisationnelle : rebondir face aux turbulences, De Boeck Université (Manager RH).

[4] Weick & Sutcliffe, op cité.

[5] Morin E., Le Moigne J.-L., 1999, L’intelligence de la complexité, Paris, Harmattan (Collection Cognition et formation).

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Publié le 06 juillet 2020
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